Lois antiterroristes : comprendre quelques mécanismes...


Les inculpés du 11 novembre sont tombés sous le coup d'une législation d'exception créée à des fins de « lutte antiterroriste ». Il n'est pas besoin d'être juriste pour être « interpellé » par les méthodes policières qui ont été employées, ou par le fait que cette qualification de terrorisme concerne finalement des actes de dégradation de bien n'ayant rien à voir avec des attentats meurtriers.

Il importe donc de comprendre quelques bases de la machine judiciaire et policière qui s'est appliquée ici pour saisir et combattre la logique qui permet qu'on arrête des gens sans ménagement parce qu'ils sont soupçonnés d'avoir écrit un livre !

Deux mécanismes se complètent :

1. Les lois d'exception et leur multiplication actuelle.

La loi anti-terroriste qui a été appliquée dans cette affaire est une loi d'exception. C'est-à-dire qu'elle prévoit des dispositions spéciales, inhabituelles dans le droit commun, destinées à traiter des individus spéciaux qualifiés de « terroristes ». Voyons ce qui s'opère grâce à la rhétorique « anti-terroriste »



Traitement d'une affaire « classique » Traitement dans la cadre « anti-terroriste »
Convocation des « présumés coupables » au commissariat. Intervention de policiers cagoulés et armés (arrestation publique).
Garde à vue de quarante-huit heures (interrogatoire) avec possibilité de prendre un avocat dès la deuxième heure. Garde à vue de quatre-vingt seize heures (interrogatoire), sans avocat pendant les trois premiers jours.
Remise en liberté si les « garanties de représentation » sont suffisantes. Pas de remise en liberté (malgré de nombreuses garanties de représentation).
Présentation devant un juge anti-terroriste.
Détention provisoire.
Dans l'affaire de Tarnac, seules trois personnes seraient poursuivies pour soupçons de dégradation (les autres seraient donc relâchés).
La peine maximale encourue serait alors de cinq ans et 75 000 € d'amende.
  • Neuf personnes sont inculpées pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste »
  • Cinq personnes sont en détention provisoire.
  • Huit d'entre elles risquent dix ans et 150 000 € d'amende.
  • Le chef « présumé » risque lui vingt ans et 300 000 € d'amende.


 9 de Tarnac, les preuves s'accumulent
La qualification de « terroriste » justifie la mise en œuvre de tout un dispositif d'exception qui permet un traitement particulièrement ferme et répressif des prévenus. Celle d'« association de malfaiteurs » permet, elle, d'arrêter des personnes sans aucune preuve d'implication, en comptant les trouver lors de la garde-à-vue, et ce sur des bases on ne peut plus floues. Abracadabra : la figure du suspect se confond avec celle du coupable. Le tout assisté par des tours de passe-passe médiatiques des plus grossiers.

Le nouvel arsenal de lois d'exception comme celle qui permet ce traitement est apparu récemment dans les pays occidentaux, et notamment depuis les attentats du 11 septembre 2001. Ces lois ont toutes émergé sous couvert de lutte antiterroriste. Le postulat est le suivant : le terrorisme est une menace, et cette menace « hors norme » justifie la mise en place d'un droit « hors norme », c'est-à-dire finalement « hors droit » : une justice d'exception, grâce à laquelle le pouvoir politique et judiciaire s'autorise à déroger à ses obligations (libertés individuelles, présomption d'innocence...). Or, dans la plupart des cas, les lois d'exception ne sont pas abrogées une fois passé le « contexte exceptionnel » qui les a fait fait naître. Ainsi, le Plan Vigipirate, qui depuis sa mise en œuvre dans « un contexte particulier », est devenu le mode courant de surveillance des espaces publics.



2. Une opération visant à orienter la pratique du droit.

Les textes de loi sont toujours soumis à interprétation. Le droit n'est donc pas totalement figé dans sa forme écrite : il fait l'objet d'une pratique judiciaire qui estompe le flou de la loi et définit son application affaire après affaire, jurisprudence après jurisprudence. L'arrestation et la mise en examen des neuf de Tarnac sous la qualification de « terrorisme » est un moment de cette pratique judiciaire.

Ainsi, dans le cadre de cette affaire, une certaine lecture de la loi « antiterroriste » a été faite, lecture qui permet qu'on qualifie de terroristes des personnes soupçonnées d'avoir dégradé un bien, d'avoir voulu réfléchir ensemble, d'avoir produit des textes critiques, d'avoir manifesté.

L'utilisation du qualificatif de « terrorisme » dans cette affaire est donc une opération, une entreprise performative visant à créer une pratique. On créé des terroristes en les désignant comme tels.

On peut imaginer que lors du procès, se posera aux magistrats la question suivante les faits reprochés aux inculpés justifient-ifs qu'on les qualifie de « terroristes » ?

Une menace plane sur la Corrèze 
Si la réponse est oui, il en résultera non seulement une condamnation plus sévère des inculpés (s'ils sont reconnus coupables), mais également une mémoire de cette utilisation de la loi antiterroriste qui justifiera par la suite qu'on (emploie dans des cas similaires : dégradation de bien commise en réunion dans le but de troubler (ordre public, mais aussi toute appartenance à un groupe, dont certains membres seraient soupçonnés d'avoir commis une dégradation. L'« association de malfaiteurs » permet donc de ratisser très large, sur la simple base d'un nouveau « crime de mauvaises relations ». D'ailleurs, le Procureur de Paris le dit lui-même : l'infraction de dégradation est dans cette affaire passée au second plan, le premier étant la supposée appartenance à un groupe plus ou moins organisé menant une entreprise de critique sociale... Peu importe qu'il faille créer ce groupe de toutes pièces. On voit là que de la réponse donnée lors du procès à la question évoquée, dépendra non seulement la lourdeur des peines encourues par les inculpés, mais aussi le cadre d'application future de la loi antiterroriste.

D'un coté, l'État, par la voix du ministère de l'Intérieur et du parquet de Paris, a fait, fait et fera ce qu'ils peut pour justifier l'accusation de terrorisme et les sanctions qui l'accompagnent (voir le travail médiatique qui a déjà été fait). L'objectif affiché étant d'étayer la thèse de la réapparition de groupuscules terroristes, d'un nouvel « ennemi intérieur » contre lequel tout le pays est encouragé à faire front commun.

De l'autre côté, se trouvent évidemment toutes les personnes qui soutiennent les inculpés, mais également tous ceux qui considèrent illégitime cette qualification de terrorisme. L'enjeu est alors le suivant : comment faire en sorte que la réponse des juges soit « non, ces faits ne peuvent pas Être qualifiés de terroristes » ?

Deux terrains de lutte s'ouvrent là :

Le terrain purement judiciaire, et le terrain politique, sur lequel se situent toutes les personnes qui s'exprimeront sur cette affaire, que ce soit dans les médias « classiques » ou par tous moyens employés dans le but de faire circuler de l'information. Il s'agit là de contrer l'entreprise de criminalisation de la critique sociale, par la dénonciation des lois d'exception et de l'usage qui en est fait.

Nous devons obtenir la déqualification, dans le droit et dans l'imaginaire commun, d'actes qualifiés de « terroristes » en actes de dégradation. La critique sociale doit sortir du régime de l'infraction, elle ne doit plus être considérée comme une « association de malfaiteurs ».

Enfin, s'opposer à l'établissement progressif d'une pratique judiciaire et policière ultra-répressive et autoritaire, et dont l'affaire qui nous occupe est une étape : d'une certaine manière, un référendum...



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